
Comment percevais-tu l’augmentation des publications de mangas début 1995 ?
Bien que ce soit vrai dans les faits, cette augmentation était assez complexe à ressentir directement. Le nombre de manga commence à augmenter mais ils sont majoritairement de Glénat. On distinguera quand même 2 styles très marqué : les mangas provenant de séries connues (Dragon Ball, Ranma 1/2, Sailor Moon, …) et les mangas de SF/anticipation pour un public souvent plus âgé. On retrouve dans cette catégorie Akira et les mangas de Masamune Shirow (Appleseed, Orion, …). 2 rares exceptions à noter sont Gunnm et surtout Video Girl Ai. Nous reviendrons sur ce dernier dans quelques temps. Si je dois sortir une série de tout ça à l’époque, c’est Dr Slump. J’avais beaucoup apprécié le dessin anime diffusé quelques années avant et l’humour de Toriyama faisait mouche.


Quels étaient, selon toi, les titres les plus marquants en termes d’anime au début de 1995 ?
Je ne regardais encore que ce qui était diffusé à la télévision et quelques VHS des films anime de Dragon Ball. J’ai pu regarder quelques VHS de Cobra que l’on m’avait prêté. Ce n’est pas un anime de 1995 mais ça reste une très bonne série. Si on regarde ce qu’il sortait à ce moment-là, les séries d’OAV que je regarderai plus tard dans les années 90 comme Iria, Dominion, Chronique de la guerre de Lodoss… Il y a eu la diffusion de Dragon Quest – Dai no daiboken / Fly à la télé. La série anime de cette époque souffre de beaucoup de défauts, dont de ne pas avoir de fin, mais étant fan de RPG, il y avait tout ce qu’il fallait pour me plaire. Il faudra attendre la sortie du manga chez J’ai lu pour avoir la suite et nous en reparlerons à ce moment-là.


Quelles étaient tes habitudes d’achat en début d’année 1995, concernant les jeux vidéo et les animes/mangas ?
Pour les animes/mangas, nous avons fait le tour. Pour ce qui est du jeu vidéo par contre, c’est là que je vais sauter le pas avec Final Fantasy 6 (3 aux Etats-Unis) Clairement un des meilleurs jeux auquel j’ai pu jouer. Il y avait cette prise de risque de l’anglais que j’étais loin de maîtriser mais ça n’avait pas de grande importance. Le jeu ne souffre pas vraiment de défaut particulier. Bien entendu il ne faut pas l’évaluer avec des standards d’aujourd’hui mais pour l’époque, c’était clairement ce qu’on pouvait avoir de mieux… avant la sortie de Chrono Trigger auquel je jouerai après sa sortie aux Etats-Unis.


Final Fantasy VI semble avoir été un jeu marquant pour toi. Comment as-tu vécu cette expérience, notamment avec la barrière de la langue et l’absence de traduction française ?
Même si la maîtrise de la langue n’était pas parfaite, je réussissais à comprendre l’essentiel. Le jeu en lui-même possède beaucoup de qualité qu’on ne trouvait pas dans beaucoup de jeu à l’époque. Les personnages sont pour la plupart bien écrits, profonds avec une once de drame pour chacun. Malgré cet aspect très pixel art, les expressions des visages retranscrivent parfaitement les émotions, ce qui changeait de ce qu’on avait pu voir ailleurs, surtout quand on le compare à Mystic Quest. Outre les personnages, les décors ont bénéficié également d’un soin particulier même s’ils sont assez commun : maison, grotte, forêt, château. Les 2 autres points à signaler sont la musique et le gameplay. Chaque personnage a son thème et chaque personnage a son style de jeu. Le fait de rendre autant de personnage unique dans un jeu n’était pas courant à l’époque. On jouait principalement un personnage solitaire ou accompagné de 1-2 autres personnages secondaires tout au plus. Se retrouver avec autant de contenu dans un seul jeu, c’était novateur au niveau de mon expérience de joueur. J’ai comme beaucoup été marqué par plusieurs scènes iconiques comme celle de Ceres à l’opéra. Pour le reste, c’est un RPG japonais de l’époque. Un anime n’aurait pas été un mal quand on y réfléchit mais il faudrait beaucoup trop d’épisodes pour tout raconter. Je pense en tout cas qu’il y a eu un avant et un après Final Fantasy 6. Il restera un marqueur important de mon histoire.


Peux-tu revenir sur l’impact de la scène de l’opéra dans Final Fantasy 6 ?
Ce passage dans le jeu résume très bien tout ce qu’on peut apprécier dans le jeu. Il s’inscrit dans une phase où le groupe que l’on a réussi à monter depuis le début du jeu est séparé en trois. Cela permet de s’attacher à chaque personnage sans qu’il y en ait un qui se démarque, chose impossible lorsque l’on joue un héros bien identifié. Cet événement permet de mettre en avant une romance de l’histoire qu’on ne pourrait pas avoir sans cette séparation marquée. On trouve aussi un élément de gameplay simple mais efficace : se souvenir du texte que Celes doit chanter. Tout ça pour qu’au final, on se retrouve au milieu de la scène pour combattre l’un des boss récurrents du jeu après un chemin chronométré, le tout avec en dessous un décor d’opéra et un orchestre qui joue une musique de combat créant une tension. Bref, tous ces petits détails qui font que tout est fluide sans temps mort. Bref, du grand art. On ne peut pas dire qu’on retrouve autant de choses à chaque passage, mais globalement, on arrive toujours à retrouver certains de ces éléments ailleurs.


Quelle a été ton impression générale après avoir joué à Final Fantasy 6 ?
Au final, cela m’a surtout provoqué l’envie d’avoir plus souvent des jeux de ce niveau-là, si possible sur la console française plutôt qu’américaine ou japonaise ! L’autre point, mais qui reviendra des années plus tard, c’est que j’ai attendu la sortie de Final Fantasy 7, et lorsque ce dernier a été annoncé sur Playstation, j’ai tout de suite su qu’il fallait oublier la future Nintendo 64. Mais nous en reparlerons plus tard.


As-tu ressenti un changement dans la diversité des animes diffusés à la télévision à cette époque ?
Vu qu’il n’y avait plus vraiment de choix, je suivais les séries phares de l’époque : Dragon Ball, Ranma, Sailor Moon.


Comment percevais-tu les polémiques autour de la violence dans les animes en 1995 ?
La violence ne me dérangeait pas, ou plutôt, je ne regardais pas le plus violent, à savoir Hokuto no Ken. Ce n’est pas vraiment parce que le contenu me gênait, mais je n’étais pas plus attiré que ça. Aujourd’hui, j’ai lu le manga, et c’est une œuvre à ne pas rater du moment qu’on a l’âge pour l’apprécier. Elle était arrivée trop tôt. Le reste était clairement bien en dessous de ce qu’on voulait dire. Quand on y regarde bien, la violence de Dragon Ball est moindre que celle de Rambo. On avait moins de scrupules sur les films que sur les dessins animés. La faute à l’image trop enfantine des dessins animés, alors que clairement, les plus connus étaient ceux qui s’adressaient au public le plus large possible et qui donc avait le recul nécessaire pour regarder sans que cela ait un impact quelconque dans la vie réelle.


Comment te sentais-tu face aux polémiques médiatiques concernant les animes ?
Mal, puisque cela donnait une image biaisée de la réalité. Le plus drôle dans tout cela, c’est que par la suite, continuer de lire des mangas et regarder des animes passaient plutôt comme des loisirs d’enfant. Donc d’un côté, regarder des animes donnait une image enfantine, et de l’autre, les animes étaient jugés trop violents pour les enfants. Il fallait donc bien expliquer ce paradoxe pour que l’on soit pris au sérieux quand on disait qu’il y avait bien plus que ça dans l’animation japonaise. Non, la violence et le sexe n’étaient pas la norme dans l’animation japonaise.

Cependant, beaucoup de séries disponibles en vidéo traitaient de SF/Horreur. Ca n’aidait pas à améliorer l’image si on s’arrêtait à ça.



Est-ce que ces polémiques ont affecté les fans ?
Oui et non. Oui pour les personnes qui ne s’y intéressaient pas, dont les représentants politiques, qui ont fait passer des lois impactant la diffusion à la télévision. Non pour les fans, qui en demandaient beaucoup plus, sachant qu’ils vieillissaient en même temps que les séries. Les enfants qui ont connu des animes au début des années 80 arrivaient au lycée, et donc n’avaient pas de problème avec la maturité de certaines thématiques. Ce qui évoluait, c’était le nombre de personnes toujours intéressées par les dessins animés, alors que les séries télévisées live prenaient de plus en plus de place sur les chaînes, en particulier en fin de journée et en soirée. Elles étaient déjà présentes depuis longtemps, mais forcément, l’âge aidant, mon entourage était plus à même de parler de ces dernières que de dessin animé.


Penses-tu que les séries live ont remplacé les animes dans les habitudes des jeunes ?
Non. Cela se complétait, particulièrement parce que les horaires de diffusion étaient différents, et comme nous l’avons déjà dit, la place de l’animation japonaise à la télévision diminuait drastiquement sur les chaînes hertziennes. Il faut quand même rappeler qu’internet était très peu développé. Donc à part les jeux vidéos, les loisirs audiovisuels se limitaient à la télévision, les VHS et le cinéma. Le plus simple et moins cher étant la télévision, la réponse devient évidente.


Le succès grandissant des mangas et des jeux vidéo a-t-il compensé la baisse d’anime à la télévision ?
J’en doute que ce soit une des raisons principales. Comme déjà évoqué dans d’autres interviews, c’est par les magazines de jeux vidéo que la culture japonaise se diffusait principalement dans les campagnes. Donc on rêvait via ce que les journalistes nous présentaient et avaient accès à travers les magazines. Cela étant, il est complètement vrai que la diminution drastique de diffusion d’anime à la télé a naturellement reporté le public sur les autres médias que sont les mangas et les animes. Plus que l’intérêt, c’est la nécessité qui a primé.
